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Cassons la croûte


 †Claude Lejeune

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Nouveau sujet (point de départ dans "Clitocybe nébuleux", ici-même)

Je n'avais pas pensé aux corticiacées, comment fait-on pour prélever, on gratte? On décolle? On prélève avec le substrat?

 

Cher Bret,

Cher Tous,

 

Les Corticiacées compensent l'archaïsme de leur morphologie et leurs modestes atours (c'est un euphémisme) par la beauté plastique de certaines de leurs cellules, à l’origine d’authentiques coups de foudres mycologiques et micrographiques : ces champignons scellent indiscutablement ces deux passions.

 

C'est sur la face inférieure du bois mort que tu feras les plus belles récoltes. Il suffit en général de "s'attabler" à un vieux tas de bois et de le démonter en inspectant méthodiquement les morceaux : les branches du dessous, et notamment celles qui sont restées au contact du sol (humidité préservée), sont les plus riches en croûtes.

Tu récoltes au couteau ou à la serpette avec une tranche de substrat (en général, écorce ou bois à nu : attention, on se blesse facilement !) ; tu transportes tes spécimens dans du papier journal pour éviter une trop brutale déshydratation, et face inférieure maintenue dans sa position originelle (1).

Ensuite tu réhydrates éventuellement (en imprégnant d'eau ton papier journal, par exemple, et en laissant ta croûte y séjourner un quart d’heure) puis :

- tu grattes, s'il s'agit d’un Corticié pelliculaire, "crémeux" ou très finement membraneux ;

- tu fais une très fine coupe plus ou moins radiale si ta croûte est plus épaisse ;

- tu colores : rouge congo amoniacal, ou mieux : KOH (ou soude domestique) à environ 5% + rouge Phloxine B ; ou, encore mieux : les deux, successivement (2) ;

- tu recouvres d'une lamelle, tu écrases à la fois délicatement et fermement ta préparation (p. ex. avec l'emboût gomme d'un crayon) et observes à x 400 au minimum puis tu détailles en immersion.

 

Les corticiés ou croûtes "résupinées" (= totalement étalées sur leur support et donc privées de "chapeau" et de pied) ont une structure simple : une assise externe de cellules allongées dans le sens du support, qui se redressent progressivement et dans le prolongement desquelles s'épanouissent les basides et différents types de cystides (éléments stérils entre les basides, ou immerses, dans la trame même de la croûte). Ce sont ces cystides qui peuvent être étonnamment belles : couvertes de cristaux, encapuchonnées de gros globules, gavées de sucs qui noirciront ou bleuiront dans certains réactifs, etc.

D'autres corticiés ont évolué vers une plus grande différenciation : amorce de "chapeau" (un bout plus ou moins grand de la croute se détache légèrement du substrat) : on dit alors qu'ils sont "étalés-réfléchis".

 

Ils sont primitifs, certes, mais leur rôle écologique est important (vital même !): ils sont les tout premier à s'attaquer au bois mort, à le décortiquer et (ou) à préparer l'arrivée des autres champignons "lignivores" qui, tous armés de puissants enzymes, vont réaliser cette "extraordinaire performance biochimique" (l'expression n'est pas de moi : suis hélas nul en chimie...) qui consiste à décomposer la cellulose et la lignine et, partant, à recycler le carbonne.

 

Ci-joint deux représentations "idéales" de ce qu'on peut voir (dessins repiqués, pour leurs vertus pédagogiques, dans des monographies citées en Légende).

 

Envoie-nous des photos en cas de problèmes (dont des photos macro de tes récoltes), j'essayerai de te guider (toi, ou quiconque voudra t'accompagner virtuellement dans cette chasse à la croûte !).

 

Amicalement,

Claude

 

Notes

1. Les croûtes abandonnées un jour ou une après-midi, dans une boîte humide, continuent de se développer. Leur cellules, partiquement réduites à leur "hyménium" (= leur surface fertile, l'usine à spores en quelque sorte) continue de croître, en respectant son géotropisme. Les cellules d’une croûte séjournant à l'envers s'enchevêtreront donc cul par dessus tête…

2. En mycologie le rouge congo est un colorant pariétal (les parois des cellules – hyphes - sont essentiellement composées de chitine). La Phloxine B quant à elle colore le cytoplasme. Mais ce n’est jamais que de la cuisine : tu peux aussi tester d’autres colorants ! La présence d’un alcali aide à regonfler et à dissocier les structures.

3. Corticiacées (famille) et Corticiés (tribu) sont bien sûr employés ici dans un sens très larges (tout ce qui à l’apparence d’une croûte est loin d’être un Corticium (4) ou même une Corticiacée ; tu risques de tomber sur des Ordres ou sous Ordres (5), voire des Classes (6), différents. Les basidiomycètes ne sont pas les seuls à avoir développé cette stratégie élémentaire (un organisme pour ainsi dire réduit à sa fonction reproductive). Mais ne compliquons pas : l’essentiel pour l'instant est de commencer par « voir » quelque chose.

4. Il n’existe pratiquement plus que deux ou trois Corticium « vrais » : les autres ont été pulvérisés dans maints nouveaux genres.

5. Par exemple les phragmobasidiomycètes ou encore hétérobasidiosmycètes (à baside compartimentées) ou : 6. ... des Ascomycètes.

7. …il n’y a pas de 7.

 

Légende

Planches (figurant la structure d’une croûte et certaines de ses cellules) extraites de 1990, Hjorstam K. & L. Ryvarden : « Lopharia and Pododostereum » et 1997, Nunez M. & L. Ryvarden : « The genus Aleurodiscus » (Synopsis Fungorum, T. 4 et 12 – Fungiflora – Oslo).

 

Amicalement

Claude

 

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